D'où vient le "french bashing" des médias américains ?Après la polémique suscitée par deux articles de Newsweek sur "la chute de la France", francetv info s'est entretenu avec un universitaire américain, Arthur Goldhammer, fin observateur de l'actualité française. 
 
 Le site américain Newsweek a encore touché la corde sensible tricolore, vendredi 3 janvier, en publiant un article intitulé "La chute de la France". En réponse aux réactions outrées à son article, l'ancien fleuron de la presse américaine a récidivé, lundi, en s'interrogeant : "Comment le pays du coq est devenu une autruche".

 

Les Français sont-ils devenus trop susceptibles ? Francetv info a interrogé Arthur Goldhammer, un chercheur américain affilié au Centre d'études européennes de l'université Harvard. D'Alexis de Tocqueville à Pierre Rosanvallon, il a traduit plus de 120 ouvrages français et tient le blog French Politics, où il commente l'actualité française.

 

Francetv info : A en croire Newsweek, la France est un pays où le litre de lait coûte presque 6 euros et où les couches pour bébés sont gratuites. Comment expliquer de telles erreurs factuelles ?

Arthur Goldhammer : C'est du journalisme sensationnaliste, dont le but est avant tout d'attirer des lecteurs. Newsweek, qui n'existe plus comme magazine hebdomadaire (il ne paraît désormais que sur internet), ne fait qu'imiter son ancien concurrent, Time. Ce dernier a publié, en 2007, un article sur la mort de la culture française, avec autant d'erreurs et d'exagérations. Il est ahurissant de publier de tels articles. On pourrait également parler de l'hebdomadaire britannique The Economist qui a, lui aussi, un faible pour la comparaison tranchante, mais superficielle.

Malgré tout, l'engouement en France autour de l'article de Newsweek est un jeu de dupes, car de tels articles relèvent de la provocation. Cela ne méritait pas la réaction de ministres français. Aux Etats-Unis, d'ailleurs, personne n'a repris l'article.

 

Comment la France est-elle perçue outre-Atlantique ?

La France sert de repoussoir aux Américains. C'est un pays commode en matière de comparaisons, avec des clichés des deux côtés. Quand les Français réduisent les Etats-Unis à l'obésité, la malbouffe, le racisme et l'obsession du travail, les Américains voient en la France un pays paresseux, fait de luxe et de snobisme, avec un gouvernement omniprésent et des impôts trop élevés.
 
D'où viennent ces clichés, que l'on retrouve aussi dans les propos du PDG américain de Titan, Maurice Taylor, au sujet des ouvriers français de Goodyear à Amiens ?

C'est le fruit d'une longue histoire entre les deux pays, difficile à résumer. Dans les années 1950, les Américains ont été marqués par l'interventionnisme français en matière de développement économique – d'où l'image de gouvernement omniprésent. Il y a aussi eu l'attitude de De Gaulle à l'égard des Etats-Unis et une tradition de diplomates aristocrates français – d'où l'image d'arrogance.

Aujourd'hui, les médias ont une responsabilité importante dans la propagation de ces clichés. Le monde universitaire, plus sérieux, est davantage préservé. Les comparaisons superficielles de certains chercheurs sont corrigées par les critiques aimables des collègues dans les conférences internationales.

 

Les médias américains arrivent-ils à couvrir l'actualité française sans céder à la tentation des clichés ?

Ce qui me frappe dans l'affaire Newsweek, c'est que, dans le même temps, The New Yorker a publié un très bon dossier sur les Roms, très documenté, dont personne n'a parlé en France. C'est pourtant beaucoup plus sérieux que l'article de Newsweek et d'une qualité inégalée sur le sujet. Même dans la presse française, je n'ai pas lu d'entretiens aussi poussés avec des chercheurs français et américains, avec Manuel Valls, avec des représentants de la communauté rom... J'y ai beaucoup appris sur l'attitude du gouvernement et l'histoire des Roms.

La question de la xénophobie en général, avec la montée du Front national et le rapport aux immigrés, intéresse les Américains. Les élections européennes, où le FN va sans doute faire un bon score, vont être l'occasion de parler de cet aspect de la société française. Cela vaut aussi pour les débats sur la "quenelle" de Dieudonné, qui intéressent les Américains.

La question de la race est très importante pour eux, qui ont l'habitude de recevoir des leçons des Français sur le sujet et aiment voir que les Français aussi ont des problèmes de ce côté. On veut aussi voir, plus sérieusement, si cela va déchirer la France et causer une rupture profonde au centre de l'Europe.

Il est donc exagéré de réduire au "french bashing" la couverture médiatique anglo-saxonne de l'actualité française...

Oui, mais on ne peut nier des vagues épisodiques. Le "french bashing" a été particulièrement grave durant la guerre en Irak [en 2003]. A l'époque, il y avait une tension forte entre les deux pays, autour d'un vrai différend sur l'entrée en guerre.

Aujourd'hui, la comparaison porte sur la France qui reste enlisée dans la crise et les Etats-Unis qui veulent croire qu'ils en sortent. Cela prête à tous les clichés entre la France étatiste, dirigiste, protectrice, et l'Amérique avec son économie libérale et ses lois plus souples. Critiquer la France est aussi un alibi pour ne pas porter l'attention sur les faiblesses de la société américaine. C'est réconfortant pour les Américains.

 

La France apparaît-elle vraiment enlisée ?

On s'inquiète beaucoup de l'état de la France car elle est, avec l'Allemagne, le moteur de l'Europe. Après deux présidences à peu près incapables de fournir une réponse adéquate à la crise économique, on se demande, à l'étranger, si la France va succomber et précipiter une crise plus générale de l'Europe et de l'Union européenne, faute de réforme.

 
La une de l'édition du 31 mars 2012 de l'hebdomadaire britannique "The Economist". (THE ECONOMIST)

 

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Avant l'élection présidentielle de 2012, l'hebdomadaire The Economist avait consacré sa une à "La France en déni". On retrouve ce terme de "déni" dans les deux articles de Newsweek. Pourquoi ?

Au-delà du déni, c'est le thème du déclin qui ressurgit. Les Américains ne font que s'inspirer des Français, qui n'ont pas attendu pour parler de déclin. Je pense notamment à un livre de Nicolas Baverez, publié il y a quelques années (La France qui tombe : un constat clinique du déclin français, Perrin, 2003).

Le déclin est un thème répandu à travers l'Occident, avec la montée de la Chine et d'autres économies émergentes. On s'inquiète pour l'avenir de nos sociétés et il est plus facile pour les Américains de porter leur regard ailleurs. Ainsi, c'est la France qui est "le maillon faible de l'Occident" et "l'homme malade de l'Europe". C'est plus facile que de dire que le problème concerne l'Occident tout entier, du fait de la mondialisation.

 

L'année dernière, The New York Times a évoqué un "malaise" français. Que faut-il y voir ?

J'ai moi-même constaté un certain malaise, dû à la crise, quand je suis venu à Paris, il y a deux ou trois mois. Il y a un pessimisme un peu plus profond que la normale. On le retrouve dans la littérature, par exemple dans le livre d'Alain Finkielkraut (L'identité malheureuse, Stock, 2013) qui parle d'une perte de confiance des Français dans leur propre culture, dans leurs avantages, dans leur attractivité, dans la capacité de la France à assimiler ses propres minorités.

La culture française n'a plus la centralité qu'elle avait, même dans l'esprit des Français. Il y a une perte de confiance dans la valeur de l'étude approfondie de la culture française. Elle n'apparaît plus capable d'apporter les réponses nécessaires à l'état actuel du monde. Donc on cherche des réponses aux problèmes français dans d'autres traditions et cultures.

Dans le passé, les Français avaient plutôt l'habitude de chercher du côté de leur propre culture. En matière de politique, il y a une riche tradition de contestation du pouvoir en France. Je pense au livre de Jacques Julliard (Les gauches françaises, Flammarion, 2012) sur la pluralité des traditions de gauche, qui offrait une large gamme de réponses aux crises économiques.

Aujourd'hui, dans cette crise perçue comme mondiale, d'une nature différente, on a tendance à chercher les réponses dans la science économique, qui est moins développée en France que dans les pays anglo-saxons. On se tourne donc vers des économistes américains, avec un lot de critiques de l'euro et de la structure de l'Union européenne.

Malgré tout, les Français ont du répondant. Le nouveau livre de Thomas Piketty (Le capital au XXIe siècle, Seuil, 2013) apporte une réponse à la fois française et globale à la crise, en s'inspirant de la tradition de la gauche française et de l'économie américaine.

 

http://www.francetvinfo.fr/economie/medias/d-ou-vient-le-french-bashing-des-medias-americains_500986.html?google_editors_picks=true

 

 

 

"La chute de la France"
Une journaliste de Newsweek qui vit à Paris dresse un portrait accablant de la société française. Un point de vue qui a provoqué de nombreuses réactions consternées. Ci-dessous, l'article dans son intégralité. 

 Même si c'est tiré par les cheveux, certains n'hésitent pas à comparer ce qui se passe aujourd'hui en France avec les événements de 1685. Cette année-là, Louis XIV révoque l'édit de Nantes, qui protégeait les protestants de France (ou Huguenots). Essayant d'unir son royaume sous une seule et même religion, le Roi-Soleil fit fermer des temples et persécuta les Huguenots. Résultat, quelque 700 000 d'entre eux s'exilèrent en Angleterre, en Suède, en Suisse, en Afrique du Sud et dans d'autres pays.
Les Huguenots étaient près d'un million avant 1685 et étaient considérés comme les abeilles industrieuses de la France. Ils quittèrent le pays sans argent, mais forts de leurs nombreuses compétences. On peut parler d'une véritable fuite des cerveaux.

 

Rome brûle

Depuis l'arrivée au pouvoir du président socialiste François Hollande en 2012, l'impôt sur le revenu et les charges sociales ont grimpé en flèche. Le taux d'imposition maximal est de 75 % et beaucoup de contribuables sont imposés à plus de 70 %.

Il s'ensuivit une ruée vers la frontière de ceux-là mêmes qui créent la croissance économique : chefs d'entreprises, innovateurs, esprits créatifs, cadres supérieurs. Tous quittent la France pour déployer leurs talents ailleurs.

Pour un pays historiquement riche, c'est une tragédie. Le problème des Français, comme on dit, c'est qu'ils n'ont pas de mot pour entrepreneur [la journaliste reprend ici une citation prêtée à l'ancien président américain George W. Bush]. Où est le Richard Branson français ? Et le Bill Gates français ?

"Vous voyez cet homme là-bas ? Je vais le tuer. Il a fichu ma vie en l'air !" L'homme qui fulmine en ces termes est un ami avocat qui quitte la France pour la Grande-Bretagne afin d'échapper à la tranche de 70 %. Il dit qu'il travaille comme un chien pour financer un Etat dépensier. Celui qu'il montrait du doigt était Pierre Moscovici, le très décrié ministre des Finances, attablé dans un restaurant japonais huppé du VIe arrondissement de Paris. Moscovici avait l'air très content de lui. A-t-il conscience que Rome brûle ?

 

Le socialisme entraîne la morosité

Certes, il y a beaucoup de bonnes choses en France. Une économie qui dispose d'infrastructures performantes, par exemple un service de trains à grande vitesse, le TGV, et Airbus, ainsi que des entreprises internationales, par exemple le groupe de luxe LMVH, qui définissent tous l'excellence à la française. Elle possède la meilleure agriculture d'Europe. Son industrie du tourisme est l'une des meilleures au monde.

La France connaît cependant depuis les deux dernières années un déclin constant et notable. La main lourde du socialisme provoque la morosité. Il est de plus en plus difficile de monter une petite entreprise quand on ne peut pas licencier les salariés inutiles et recruter de nouveaux talents. Comme les Huguenots jadis, les jeunes diplômés ne voient aucun avenir pour eux et s'enfuient à Londres.

Le chômage est officiellement à trois millions de personnes, officieusement plutôt à cinq millions. Le coût de la vie quotidienne est astronomique. Paris est désormais l'une des villes les plus chères au monde, devant Londres. Un demi-litre de lait vaut par exemple 4 dollars [3 euros] à Paris, soit le prix de 3,8 litres dans un magasin américain.

Ceci s'explique en partie par l'étouffant "Etat nounou". Il y a dix ans, j'ai quitté Londres pour commencer une nouvelle vie à Paris. Après avoir épousé un Français et enceinte de notre enfant, j'étais ravie d'échanger mon appartement de Notting Hill pour un logement donnant sur les jardins du Luxembourg.

A cette époque, les prix étaient tels que j'ai pu échanger un petit appartement de célibataire à Londres, rugueux mais charmant, pour un appartement familial délabré dans le centre de Paris. Puis les prix se sont mis à grimper régulièrement. A la fin du règne du gaulliste (conservateur) Nicolas Sarkozy, les Français (qui détestaient son attitude bling-bling) ont fait entrer en scène le plan-plan Hollande. Presque immédiatement après, les impôts ont commencé à augmenter.

 

Avantages et abus

Au début, cela ne me dérangeait pas de payer plus d'impôts qu'au Royaume-Uni pour avoir accès à d'excellents services de santé ou à des écoles savamment subventionnées comme celle où est inscrit mon fils (l'Ecole alsacienne, fondée par l'un des rares Huguenots restant en France à la fin du XIXe siècle).

En tant que jeune mère, j'ai été surprise par la kyrielle d'avantages offerts si vous remplissiez tous les formulaires : les couches étaient gratuites, le travail de la nourrice était déductible des impôts, il y avait des crèches gratuites dans tous les quartiers. Des travailleurs sociaux sont venus frapper à ma porte pour m'aider à "organiser la crèche", et mon fils a droit à la cantine à un repas complet [entrée, plat, dessert], plus une portion de fromage.

Reste que certaines de ces aides sont un pur gâchis. L'Etat français paie notamment pour que des jeunes mères comme moi-même puissent voir un spécialiste deux fois par semaine pour raffermir leur ventre. Lancée après la Première Guerre mondiale et la disparition de tant de jeunes hommes, cette mesure visait essentiellement à encourager les naissances (jamais votre mari ne voudra vous toucher si vous avez encore vos kilos de grossesse, quelle idée bien française !).

En regardant autour de moi, j'ai vu combien les gens abusaient de ce système. Des amis syndiqués pouvaient partir en vacances tout l'été et toucher une allocation-chômage de 55 % de leur salaire. Un ami cameraman âgé de 30 ans et en possession de tous ses moyens travaillait cinq mois et passait le reste de l'année à vivre des aides de l'Etat dans le confort de sa maison du sud de la France.

Une amie employée de banque a passé ses trois mois de congé maternité à faire du bateau en Guadeloupe. Se trouvant dans un territoire d'outre-mer, elle continuait à toucher toutes ses aides.

Une autre amie banquière qui avait été licenciée s'est accordé presque trois ans pour trouver un nouvel emploi, car l'Etat la payait tant qu'elle ne retrouvait pas de travail. "Et pourquoi pas ? Je l'ai bien mérité, m'a-t-elle répondu quand je l'ai interrogée. J'ai cotisé pour le système." Son attitude est largement répandue.

Lorsque vous prenez votre retraite, vous êtes chouchouté. Il existe 36 régimes spéciaux – ce qui signifie, par exemple, que le personnel hospitalier ou les conducteurs de train peuvent partir à la retraite plus tôt que les employés du secteur privé en raison de "la pénibilité de leurs conditions de travail", alors même qu'ils ne peuvent pas être licenciés. Mais tout cet argent distribué a conduit l'Etat à la faillite.

 

 

Une nation de nombrilistes

La France étant par ailleurs une nation de nombrilistes à la Jean-Paul Sartre*, elle refuse de se tourner vers l'extérieur, vers le village mondial. Pourquoi s'intéresser aux Brics – les marchés émergents du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique de Sud – quand on a Paris ? C'est une philosophie étriquée qui tuera la France.

Au Forum économique mondial, qui se tient tous les ans à Davos, la France est toujours sensiblement sous-représentée. L'année dernière n'y assistait qu'une toute jeune ministre, Fleur Pellerin, car c'est apparemment la seule membre du gouvernement à parler anglais couramment. "Les Français n'aiment pas parler anglais, a admis l'un de ses assistants avec lassitude. Ils n'aiment donc pas venir à Davos."

Les plus grands esprits français préfèrent s'enfuir à Londres, Bruxelles et New York plutôt que de s'abêtir chez eux. Parcourez une rue du quartier de South Kensington – le nouveau sixième arrondissement de Londres – et essayez de ne pas entendre parler français. Le lycée français qui s'y trouve dispose d'une longue liste d'attente pour les enfants français dont les familles ont émigré. L'ambiance est sinistre lorsque j'écoute mes amis français sur ce sujet.

D'après un fonctionnaire expérimenté des Nations unies, aujourd'hui installé en Afrique, "les plus grands penseurs de France ont quitté le pays. Tout ce qu'il y reste désormais, c'est la médiocrité."

"La France meurt à petit feu, affirme le responsable juridique d'une grande entreprise française. Le socialisme est en train de la tuer. Elle ressemble à une famille de riches aristocrates incapable de se défaire des domestiques – un peu comme dans la série Downton Abbey."

 

"Ces dix dernières années, le village mondial est devenu une réalité, ajoute un éditeur français. L'économie mondiale a pris tant d'ampleur qu'un Etat-nation ne peut plus jouer le même rôle qu'il y a dix ans. Les Français n'en ont pas encore pris conscience."

Pour prendre un nouveau départ, la France doit se débarrasser de la vieille garde et se réinventer. François Hollande n'était pas allé en Chine avant de devenir chef d'Etat en 2012 – et il a 58 ans. Le gouvernement est tellement replié sur lui-même et les fonctionnaires sont tellement détachés de la réalité que ce pays en est venu à se voiler la face.

C'est en partie la faute du système éducatif et notamment des grandes écoles, où sont formés la plupart des hauts fonctionnaires. Que ce soit François Hollande, son ex-épouse Ségolène Royal – candidate socialiste à l'élection présidentielle de 2007 – ou l'ex-président Jacques Chirac, mais aussi la plupart des Premiers ministres depuis 1958, tous pensent que la France est encore une superpuissance. Pourtant, la triste réalité est tout autre et la France est plus proche de l'Espagne ou de l'Italie que du Royaume-Uni ou de l'Allemagne.

Il y a bien quelques visionnaires, comme Christophe de Margerie, le PDG de Total, une multinationale dans le secteur de l'énergie. Il parle un anglais parfait et passe l'essentiel de son temps à négocier des contrats en dehors de France, mais il reste une exception.

J'aime beaucoup mon pays d'adoption et je ne veux pas en partir. Je souhaite que mon fils finisse sa scolarité en France. J'espère qu'il ne s'enfuira pas à Wall Street ou à la City de Londres, mais bien qu'il restera ici pour construire une France meilleure.

Pour cela, il faut toutefois que les politiciens comme François Hollande laissent la population respirer. La créativité et la prospérité ne sont au rendez-vous que lorsque les citoyens peuvent construire, innover et s'épanouir.

  

From : Newsweek| Janine di Giovanni

 

 

 

The Fall of « Newsweek » – Les mille et une erreurs d’un article de « french-bashing »

Pas une semaine ne passe sans que la presse anglo-saxonne y aille de son analyse sur la France, son déclin ou ses succès, ses atouts ou ses défauts. Le 3 janvier, c’est l’hebdomadaire Newsweek qui a publié un article sur le déclin de la France ("The fall of France").

L’analyse que fait la journaliste Janine di Giovanni sur les échecs et les excès de la politique menée par François Hollande n'est pas illégitime ni d'une grande originalité ; elle est partagée par beaucoup à droite de l’échiquier politique français.

En revanche, Mme di Giovanni – qui fonde sa légitimité sur le fait de vivre à Paris depuis une dizaine d'années – commet un nombre incroyable d’erreurs factuelles qui ôtent une bonne part de la crédibilité de ce réquisitoire.

1/ "Depuis l'élection de François Hollande, en 2012, l'impôt sur le revenu et les contributions sociales ont atteint des sommets. Le taux supérieur atteint 75 %, et un grand nombre de gens paient 70 %."

 ["Since the arrival of Socialist President François Hollande in 2012, income tax and social security contributions in France have skyrocketed. The top tax rate is 75 percent, and a great many pay in excess of 70 percent."]

On ne sait pas ici si l'article parle d’impôt sur le revenu ou de cotisations sociales ; visiblement, il mélange les deux. Mais dire que le "top tax rate", le seuil maximal d’imposition, est de 75 % est faux.

Au-delà de 150 000 euros annuels, le taux marginal de l’impôt sur le revenu est de 45 %. Quant à la taxe à 75 %, elle a été censurée par le Conseil constitutionnel en tant que tranche d’imposition supplémentaire, et elle est désormais payée par les entreprises. Enfin, le Conseil d'Etat a jugé récemment que le taux marginal maximum possible (en comptant à la fois impôts, CSG, CRDS et contributions exceptionnelles - était de 66%, sous peine d'être confiscatoire - et donc illégal.

Enfin, dire qu’un "grand nombre" paye plus de 70 % d’impôts est, là encore, une aberration. Il est sans doute possible d’atteindre une telle proportion en additionnant impôt sur le revenu, impôt sur la fortune et cotisations sociales, mais cela ne concerne, par définition, que les plus aisés.

En 2012, on comptait moins de 300 000 contribuables assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dont la moitié disposaient de moins de 2 millions d’euros de patrimoine.

2/ "[Ceux qui créent la croissance économique] sont tous en train de quitter la France pour exercer leurs talents ailleurs."

["As a result, there has been a frantic bolt for the border by the very people who create economic growth – business leaders, innovators, creative thinkers, and top executives. They are all leaving France to develop their talents elsewhere."]

Si la thèse des exils fiscaux massifs est rebattue par certains cercles et souvent évoquée dans la presse, aucun élément factuel ne permet à l’heure actuelle d'affirmer qu'il existe un exode massif.

Un rapport de Bercy remis à la fin de 2013 à Bernard Cazeneuve, ministre chargé du budget, invalidait cette thèse, évoquant une hausse de 1,1 % du nombre de Français établis légalement à l’étranger en 2012, contre 6 % en 2011.

Il est, en tout état de cause, difficile de discerner les raisons qui poussent des Français à quitter leur pays, et il est certain que la fiscalité n'est pas la seule cause. Enfin, nombreux sont aussi ceux qui reviennent en France.

Plus généralement, la caricature d'un pays déserté par ses forces vives et ses créateurs, où aucune entreprise ne parvient à se lancer, se heurte à quelques contre-exemples, de Free à Dailymotion, Deezer ou Criteo, comme le relève le blog Rude Baguette. 

3/ "Le problème avec le français, c’est qu’il n’existe pas de mot pour 'entrepreneur'."

[ "The problem with the French is they have no word for entrepreneur." ]

L'auteur reprend à son compte cette affirmation attribuée à George W. Bush en 2002, et qui pourrait être employée ici dans un sens ironique, même si ce n'est pas évident. Le Petit Robert est en tous cas formel, le mot "entrepreneur" existe bel et bien dans la langue française ; et ce depuis des lustres. Et d’ailleurs, le mot anglais a été emprunté au français au XIXe siècle.

4/ "Officiellement, 3 millions de personnes sont au chômage en France ; officieusement, ce serait plus proche de 5 millions."

["The official unemployment figure is more than 3 million; unofficially it’s more like 5 million."]

En réalité, le nombre de demandeurs d’emploi, toute catégories confondues, n'est pas proche de 5 millions, il a dépassé les 5 millions depuis le printemps 2012.

Le "chiffre officiel" de 3 millions de chômeurs concerne uniquement, en France métropolitaine, les chômeurs de catégorie A. Il s’agit des demandeurs d’emploi qui n’ont exercé aucune activité, contrairement à ceux des catégories B et C, qui ont eu une activité réduite. Quant aux chômeurs des catégories D et E, ils sont dispensés de recherche d’emploi pour diverses raisons.

Si l’on fait la somme de toutes ces catégories, en métropole et dans les DOM, le nombre de demandeurs d’emploi atteignait, en octobre, 5,5 millions de personnes. Et ce n'est pas une donnée officieuse que l'auteure de l'article aurait obtenue d'une source bien informée : elle émane des statistiques du ministère du travail, accessibles à tout un chacun.

>> Lire : Pour y voir clair sur les chiffres du chômage

5/ "Un demi-litre de lait à Paris, par exemple, coûte presque 4 dollars [3 euros environ], le prix d'un gallon [3,8 litres] aux Etats-Unis."

["A half liter of milk in Paris, for instance, costs nearly $4 – the price of a gallon  in an American store."]

Un demi-litre de lait coûterait près de 4 dollars, soit le litre à 8 dollars, ou 5,88 euros ? Même si Janine di Giovanni réside dans le très cher 6e arrondissement de la capitale, on se demande où elle peut bien aller faire ses courses : le prix du lait demi-écrémé, y compris aux rayons frais et bio, le plus élevé que nous ayons réussi à trouver, est de 1,42 euro le litre - on peut monter jusqu'à deux euros pour des produits plus spécifiques, mais certainement pas 5,80 euros. Il faut aller chercher du  lait de croissance bio pour enfants sur le site de La Grande Epicerie du Bon Marché, célèbre magasin de luxe parisien, pour se rapprocher des prix donnés par la journaliste.

 6/ "Les couches sont gratuites, les gardes d'enfants sont déductibles des impôts et les crèches sont gratuites dans tous les quartiers."

[Diapers were free ; nannies were tax-deductible ; free nurseries existed in every neighborhood.]

Hormis au Secours populaire ou dans d'autres organisations caritatives à destination des plus précaires, et le cas des centres de protection maternelle infantile (PMI), qui peuvent en distribuer quelques-unes au cas par cas, il n’existe aucun dispositif généraliste en France offrant des couches gratuites aux parents.

Il est exact que la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) permet de déduire une partie du coût occasionné par une garde d'enfants de ses revenus, mais le système est loin d’être unique : aux Etats-Unis existe, par exemple, le household and dependent care credit, une réduction d’impôts en fonction des dépenses engendrées notamment par des gardes d’enfants.

Par ailleurs, il n’existe aucune crèche gratuite en France. Les crèches sont soit municipales, soit privées, soit associatives, mais tout le monde les paie, même si les aides de la CAF peuvent, pour les plus modestes, prendre en charge une grande partie du coût.

Enfin, s'il existe de nombreuses crèches, elles sont loin de pouvoir accueillir tous les enfants. Les crèches sont réservées prioritairement aux enfants dont les parents travaillent. Un récent rapport de la Cour des comptes estimait que seuls 8 % à 13 % des enfants des familles les plus modestes étaient gardés hors de la famille, contre 64 % des enfants les plus aisés.

7/ "Qui s'intéresse aux BRICS – les marchés émergents du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud – quand on a Paris ?"

 ["Who cares about the BRICS – the emerging markets of Brazil, Russia, India, China, and South Africa – when we have Paris? It is a tunnel-vision philosophy that will kill France."]

On se demande si la journaliste a pris le temps de faire ne serait-ce qu’une simple recherche sur Google pour confirmer ce propos cité de manière anonyme.

Rappelons tout d'abord que la France est le onzième investisseur mondial à l’étranger et le troisième parmi les pays de l’Union européenne.  Les Français – par snobisme sartrien, nous explique l'article – bouderaient donc les pays émergents ? Selon la Cnuced, la Chine est le deuxième investisseur étranger en France, en hausse de 35 % en 2012 par rapport à 2011. Le Brésil est le quatrième pays en termes d'investissements en France. Enfin, les investissements russes dans notre pays ont doublé en un an.

Quant aux investissements français à l'étranger, si 69,9 % sont dirigés vers l'Europe, ils se font à 17,2 % vers des pays émergents, dont 5 % vers le Brésil, selon l'Insee. On peut enfin rappeler que la France est le 1er investisseur en Afrique, loin devant l'Allemagne.

8/ "Il y a trente-six régimes spéciaux de retraite – ce qui signifie, par exemple, qu'une femme qui travaille dans un hôpital ou un conducteur de train peuvent prendre leur retraite plus tôt que ceux qui travaillent dans le privé en raison de la pénibilité de leur tâche, même ceux qui ne peuvent être renvoyés."

[There are 36 special retirement regimes – which means, for example, a female hospital worker or a train driver can retire earlier than those in the private sector because of their "harsh working conditions," even though they can never be fired.]

Là encore, on est dans l’approximation la plus totale. Il existe en réalité, outre le cas des fonctionnaires, une quinzaine de régimes dits "spéciaux", dérogatoires au régime général, et non trente-six.

Parmi ceux-ci, la SNCF, où les conducteurs de train partaient effectivement à la retraite plus tôt. Mais la réforme Fillon de 2007 a prévu un alignement progressif des conditions de départ sur celles du privé.

Quant à la fonction publique hospitalière, elle permet de partir à 60 ans au lieu de 62 ans dans certains cas. Mais une infirmière comme un conducteur de train peuvent tout à fait être licenciés en cas de faute.

9/ "L'Etat français paie également, pour toutes les nouvelles mères, dont moi, des consultations chez un kiné deux fois par semaine pour retrouver un ventre plat. Cela a été conçu comme une incitation à la natalité – votre mari sera moins enclin à vous toucher si vous avez toujours vos rondeurs de grossesse... c'est si français – après la première guerre mondiale, quand tant de jeunes hommes sont morts dans les tranchées."

[The French state also paid for all new mothers, including me, to see a physical therapist twice a week to get our stomachs toned again. Essentially it was seen as a baby-making opportunity (your husband is not going to touch you if you still have your baby fat – how very French!) after World War I, when so many young men were killed in the trenches.]

La sécurité sociale rembourse surtout des séances de rééducation périnéales (et non abdominales) après l’accouchement quand le médecin le juge nécessaire, même si ce dernier peut prescrire de la rééducation abdominale, sans que ce soit lié à un accouchement : Le système de soins français permet de toute façon à un praticien de prescrire de séances de kinésithérapeute s’il estime que c’est nécessaire à un patient, et ces séances sont alors remboursées.

Prétendre que ce principe date de l’après-première guerre mondiale est, encore une fois, aberrant : les premières ordonnances de sécurité sociale datent de 1928. Sa généralisation, de 1945... Il est tout aussi ridicule d'affirmer qu’il s’agit d’encourager la natalité en rendant les femmes plus "désirables"  puisqu'il s’agit de rééducation périnéale, non abdominale, comme le rappelait, dimanche, FTVi.

10/ "Une autre amie banquière a passé ses trois mois de congé maternité (payé) à faire de la voile en Guadeloupe – comme il s'agit d'une partie de la France, elle a continué à toucher ses allocations."

[Another banker friend spent her three month paid maternity leave sailing in Guadeloupe – as it's part of France, she continued to receive all the benefits.]

Le congé maternité serait-il une exclusivité française ? Il semble pourtant qu'il existe dans des termes quasi similaires au Royaume-Uni. Et nombre de pays ont un système équivalent, les Etats-Unis faisant figure d'exception. Le reste de l'exemple est quelque peu inepte : la Guadeloupe est un département français, effectivement, et un congé maternité n'impose pas de rester chez soi ou dans une zone géographique donnée, même si faire trois mois de voile avec un nouveau-né n'est sans doute pas conseillé par les pédiatres.

Voilà pour les plus grosses erreurs que nous avons relevées dans cet article. Nous aurions pu également parler de l'école alsacienne, qui, bien que privée, est brandie comme exemple du système scolaire, du fait que le ministre des finances Pierre Moscovici, par exemple, discourt en anglais sans problème, du statut d'intermittent du spectacle que Mme Di Giovanni semble ne pas bien connaître, ou encore de ses comparaisons des plus douteuses avec la révocation de l'édit de Nantes.

 

From : Samuel Laurent et Jonathan Parienté

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tag(s) : #Politique Intérieure - Extérieure
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